Page:Barrès - Le culte du moi : un homme libre.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131
UN HOMME LIBRE

Je n’ai pas oublié cette soirée silencieuse, vers les cinq heures, dans la petite ville d’Haroué, où la vieille place est abritée de noyers malades. Le soleil de février, en s’inclinant, avait laissé dans l’air quelque douceur. J’allai, désœuvré, jusqu’à l’étang que forment les fossés écroulés d’un château pompeux, bâti sous Léopold, et dont la froide impériosité contrarie le paysage. Je m’ennuyais d’un ennui mol, et toujours les plaines d’eau me disposèrent à la mélancolie. II me sembla que l’eau elle-même, sous ce climat, désormais vivait avec médiocrité. Je sentais bien que des parcelles de l’ancienne âme de Lorraine, éparses encore dans ce paysage malingre d’hiver, faisaient effort pour me distraire mais la ruine de ma nation m’avait trop lassé pour que sa douceur posthume me consolât de sa vigueur abolie ; et une triste migraine me venait du plein air.