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UN HOMME LIBRE

santeries faciles sur ce qu’il y a de plus profond et d’essentiel en nos âmes. C’est que nous vivons à peine nous vivons par un effort d’analyse. Comme le nouveau Nancy, je m’accommode de la sensibilité que Paris nous donne toute faite. En échange d’un bonheur calme, assuré, la Lorraine a laissé à Paris l’initiative. N’est-ce pas ainsi que, lasses de heurter les étrangers, nous abandonnions notre libre développement pour adopter le ton de la majorité ?

Je refuse d’admirer, sur l’emplacement du vieux Nancy de mes ducs, la place Stanislas, qui partout ailleurs m’enchanterait. Et s’il m’arrivait, devant l’élégance un peu froide de cette belle décoration, s’il m’arrivait de retrouver quelques traits de la méthode et du rêve constant de l’âme lorraine, je n’en aurais que de la tristesse, me disant : la méthode et le rêve que j’honore en moi avec tant d’ardeur n’apparaissent guère plus dans l’ordinaire de mes actions que, dans ce Nancy moderne, les vieux caractères lorrains. Ah ! nos aïeux, leurs vertus et tout ce possible qu’ils portaient en eux sont bien morts.