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UN HOMME LIBRE

race mal consciente d’elle-même, qui venait d’enfanter obscurément le génie de Ligier-Richier, se mit toujours à l’école chez ses voisins. Elle ignora quel fils elle portait. Cette beauté impérieuse dont Ligier a vêtu la mort, aujourd’hui encore est mal connue. Une vague légende, d’ailleurs insoutenable, voilà tout ce que savent les Lorrains : Michel-Ange rencontrant l’artiste lui aurait fait l’honneur de l’emmener avec lui. Eh ! grand Dieu ! le sot éloge !

Ces deux Lorraines échouèrent, la Lorraine de l’ironie comme celle de la grandeur sans morgue, pour avoir ignoré leur génie et douté d’elles-mêmes timidement. Le sentiment qui donnait à cette race une notion si fine du ridicule lui fit peut-être craindre de s’épancher. À chaque génération, elle se rétrécit. Son art n’a jamais d’abandon ni d’audace, tout est voulu : suppression des détails significatifs, imitation des écoles étrangères. La meilleure partie de la Lorraine, sa noblesse et ses artistes, toujours avaient soupiré avec une admiration naïve vers l’Italie ; à Claude Gellée il fut donné d’y vivre. Il porta dans