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UN HOMME LIBRE

déjà épuisée. Ce n’étaient plus que redites dans la bibliothèque de Saint-Germain. Et, à mesure que les livres cessaient de m’émouvoir, de cette église où j’entrais chaque jour, de ces tombes qui l’entourent et de cette lente population peinant sur des labeurs héréditaires, des impressions se levaient, très confuses mais pénétrantes. Je me découvrais une sensibilité nouvelle et profonde qui me parut savoureuse.

C’est qu’aussi bien mon être sort de ces campagnes. L’action de ce ciel lorrain ne peut si vite mourir. J’ai vu à Paris des filles avec les beaux yeux des marins qui ont longtemps regardé la mer. Elles habitaient simplement Montmartre, mais ce regard, qu’elles avaient hérité d’une longue suite d’ancêtres ballottés sur les flots, me parut admirable dans les villes. Ainsi, quoique jamais je n’aie servi la terre lorraine, j’entrevois au fond de moi des traits singuliers qui me viennent des vieux laboureurs. Dans mon patrimoine de mélancolie, il reste quelque parcelle des inquiétudes que mes ancêtres ont ressenties dans cet horizon.