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v
préface

ment, et s’il avait mêlé à son chant pathétique les railleries de son surveillant intérieur, il aurait déconcerté.

Mes aînés, Anatole France et Jules Lemaître, me comblaient ; ils m’ont, dès la première minute, traité avec une grande générosité, mais ils prétendaient que je fusse un ironiste. Ils ne voyaient pas que je voulais prouver quelque chose et que l’ironie n’était qu’un de mes moyens. Ces grands navigateurs, n’ayant pas encore jeté l’ancre, n’admettaient pas que mes inquiétudes différassent de leur curiosité. Peut-être M. Paul Desjardins résumait-il l’opinion moyenne des gens de lettres autorisés dans une phrase qui me troublait par un mélange de justesse et d’injustice. « Cet adolescent, disait le critique des Débats, cet adolescent, si merveilleusement doué pour le style, a trouvé le moule de phrases le plus savoureux et le plus plaisant ; par malheur, il s’est égaré dans son propre dandysme et il lui est arrivé, ce qui n’est pas rare, qu’il n’a plus su lui-même si ce qu’il disait était sérieux ou non. C’est un mélange extraordinaire de sincérité naïve et d’ironie très serrée… Il a voulu prendre le monde pour