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UN HOMME LIBRE

tonneaux d’un lointain tonnelier, je travaillais avec énergie pour échapper à une sentimentalité aiguë que l’éloignement avait fortifiée. Mais forçant ma résistance, dans mon cerveau lassé, sans trêve défilait à nouveau la suite des combinaisons par lesquelles je cherchais encore à satisfaire mon sentiment contrarié. Soudain, vaincu par l’obstination de cette recherche aussi inutile que douloureuse, je m’abandonnai à mon découragement ; je le considérai en face. Ces rêves romanesques de bonheur, auxquels il me fallait renoncer, m’intéressaient infiniment plus que les idées de devoir (le devoir, n’était-ce pas, alors comme toujours, d’être orgueilleux ?) où j’essayais de me consoler. Sans doute, me disais-je, j’ai déjà connu ces exagérations ; je sais que dans soixante jours, ces chagrins démesurés me deviendront incompréhensibles, mais c’est du bonheur, tout un renouveau de moi-même, une jeunesse de chaque matin qui m’auront échappé. La vie continuera, apaisée (mais si décolorée !), jusqu’à un nouvel accident, jusqu’à ce que je souffre encore devant une félicité, que je ne saurai pas acquérir :