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premières maisons. Autour d’eux, la foule accourt et s’amasse, d’autant plus nombreuse qu’ils ne sont que quatre. Brusquement ils choisissent un individu, qu’ils jugent sur sa mise un notable, et lui commandent de les conduire à la mairie. Ils l’encadrent, et s’avancent, la carabine sur la cuisse, en mesurant d’un dur regard que rien ne détourne la file des fenêtres. Ce coup de feu tout prêt calme déjà bien des curiosités. Les voici à la mairie : « Monsieur le Maire, il nous faut tant de pain, tant de viande, tant de voitures. » Et, Monsieur le Maire, il faut comprendre l’allemand.

Quelques heures après, c’est la ruée torrentielle. Du matin jusqu’à la nuit, le fleuve s’écoule, un défilé ininterrompu de Bavarois, Prussiens, Wurtembourgeois, hussards de la mort, hussards de Blücher, uhlans, cuirassiers, fantassins, cavaliers, canons, d’où se détachent soudain des patrouilles vers le boulanger, vers le boucher, vers la poste, vers le percepteur, vers la recette municipale. Ils saisissent l’argent des caisses publiques ; ils font charger toute la viande, tout le pain, tous les légumes sur des voitures qu’ils réquisitionnent… Le monde assez nombreux qu’il y avait d’abord pour les voir passer a disparu. Peu à peu, chacun est