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des pierres, il ne renonça pas à construire : il assembla et tailla des pierres vivantes. Et maintenant que le cénacle de ses fidèles s’est délité sous l’action du temps, de la misère et de la mort, maintenant qu’il est seul, démuni de tout et de tous, il construit encore : il bâtit avec ses rêves. C’est l’homme aux trois recommencements, qui se parachève, s’éprouve, et, de deux formes imparfaites, se dégage pour surgir rare et bizarre et monter dans les cieux. Il a rompu violemment le câble qui le rattachait à la terre ferme ; il a levé les ancres ; il va à travers les nues, à la merci des quatre vents.

La nécessité matérielle l’oblige à reprendre la suite des affaires de François, pour les assurances, et de Quirin, pour la maison Galet, vins et vinaigres, à Dijon. Toute la semaine, il court les villages ; du lundi au samedi soir, il est un commis voyageur qui fait des assurances et qui vend du vin. Ces fastidieuses besognes ne le dénaturent pas. Excédé, abaissé, il se tourne avec d’autant plus de force vers les solitudes du ciel ; il y guette les signes qui vont annoncer l’intervention vengeresse de Dieu ; et la pensée de sa colline le remplit, comme la pensée du tabernacle remplissait l’âme de David au désert. C’est le cerf qui soupire après l’eau des fontaines.