Page:Barrès – Leurs Figures.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
UN RAT EMPOISONNÉ

— J’ai refusé catégoriquement de recevoir des confidences sur l’emploi de ces fonds.

— Vous sentiez sans doute que ces confidences étaient compromettantes.

Et le voilà, ce M. Prinet, qui lit à Reinach des lettres saisies chez Arton. Elles démontrent qu’on a marchandé des hommes politiques. Puis brusquement :

— Vous-même, ne vous êtes-vous pas chargé de pareilles distributions ? Nous ne voyons pas quels services peuvent justifier les sommes touchées par vous à différentes reprises, soit neuf millions sept cent mille francs.

Déjà l’après-midi est avancée. Sous la lampe du juge, ce gros juif paraît aussi méprisable qu’il était redoutable dans l’obscurité de ses intrigues. Sa graisse heureuse et rose devient flasque dans le malheur. Jadis, pour arracher de l’argent à M. de Lesseps, il disait que ses battements de cœur allaient le faire mourir. Cette comédie l’a mené dans une tragédie. C’est bien à une accélération cardiaque déterminée par la terreur qu’il faut attribuer maintenant sa voix basse, coupée et si peu intelligible que les griffonnements du greffier la couvrent.

— De ces sommes, dit-il, je pourrai faire la justification au moment donné.

— Ce moment est venu.

Ah ! le petit magistrat à huit mille francs, qui,