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DÉRACINÉS, DÉSENCADRÉS…

Le jour, si bref en cette saison, commença de décliner. Sturel, à quatre heures passées, se tenait en haut des six marches contre le Palais. Des teintes sombres paraient maintenant les espaces du Parc. Les deux bassins de la terrasse, dont les eaux semblaient de bronze vert, frémissaient, enchâssés dans leur étroit gazon. À l’extrémité du perron, un vase sculpté prenait de la perspective une importance énorme, et, vide, égalait presque les belles têtes mouvantes des marronniers sur la pente. Là-bas, le Grand Canal, au delà du char embourbé qui devenait noir, prit une extraordinaire couleur jaune. Un royaume de silence s’étendit jusque sur les parties les moins sombres elles-mêmes du domaine royal. Dans cette puissante discipline, quand les feuilles gelées à terre, les branches noires, les marbres rongés, sous un ciel où courent les nuages, utilisent en beauté les apprêts de leur mort, et, précaires, vibrent ensemble comme un seul grand cœur, quel spectacle pitoyable deux Français tourmentés, qui n’ont plus une patrie où leur sang puisse refluer et se recharger d’amour !

Soudain Sturel s’émut. Il voyait s’avancer l’homme à qui toutes ses pensées se reportaient. Bouteiller s’approchait. « Comme il a vieilli ! » pensa Sturel. Puis aussitôt : « Quel malheur qu’il ne soit pas un aîné pour moi, un prédécesseur que je vénérerais ! » Or Bouteiller, aussi, le