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LEURS FIGURES

et de la main. « Je vous vois venir », disaient avec condescendance tous ses gestes. Il vérifiait que son ancien et distingué collègue était peu propre à la vie publique, si délicate et souvent si triste :

— Cher monsieur Sturel, ce ne serait pas le rôle d’un politique, mais d’un moraliste. Un homme d’État, Dieu merci ! n’a pas charge de faire régner la vertu ni de punir les vices, mais de gouverner avec les éléments existants et d’ordonner les forces de son époque. À vouloir substituer à ce que vous appelez corruption parlementaire le règne de la vertu, on compromettrait un régime qui dans l’état est le meilleur possible.

— Ah ! dit Sturel d’un ton brisant, vous nous disiez à Nancy : Je dois toujours agir de telle sorte que je puisse vouloir que mon action serve de règle universelle. C’est peut-être votre enseignement qui m’a empêché de plier aux concessions qui eussent permis mon succès. Et c’est vous-même qui, présent en moi malgré moi, vous donnez la réplique et vous réfutez victorieusement quand aujourd’hui vous prétendez me faire admettre la nécessité des trafics et des pilleries.

Ce désaccord entre le Bouteiller éducateur et le Bouteiller politique, entre le théoricien et l’homme agissant, souvent Sturel l’avait senti, mais jamais il ne s’était rendu compte d’une façon aussi nette des reproches qu’il avait le droit d’adresser à son ancien maître. Il fut heureux qu’ils lui permissent