Les parlementaires aimaient dans cette affaire Norton qu’elle ne se rapportât en rien au Panama, où la plupart d’entre eux pouvaient encore s’engloutir. C’était très bien, ce crime spécial, particulier à Clemenceau, qui l’isolait et qui déliait toute solidarité. Depuis deux jours cependant les chances de Millevoye diminuaient. Des bruits circulaient, Rouvier avait répandu dans les couloirs :
— Ils se sont procuré les listes des journaux subventionnés par les ambassades.
Un nouveau Panama ? holà ! Si l’on attelle pour une pleine charrette, le Parlement se mettra en travers.
Quand le président de la Chambre, M. Casimir-Perier, donna la parole à Lucien Millevoye, Déroulède retenait, chapitrait encore son ami :
— Jurez-moi que vous laissez la liste, que vous vous en tiendrez à la correspondance de Lister et d’Austin Lee.
Quelques fidèles entouraient à son banc Clemenceau très pâle, surexcité. De bélier des ministères, passé au rôle de bouc émissaire, celui-ci depuis huit jours, dans son isolement, avait compris la situation. Seul, il le savait, on l’eût noyé. Tout son effort fut d’entraîner dans sa chute quelques collègues : il faudrait bien en même temps qu’eux le repêcher. Par ses cris d’abord, il força ou parut forcer Millevoye à lire les « documents volés » :