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LEURS FIGURES

déférence envers ma grand’mère, pour avoir un certain jour livré à nos ricanements le dessein que je tenais d’elle de rester dans l’Est et dans la condition des miens ? Je m’en prends à l’Université autant qu’aux dévastations du Cardinal-Roi et qu’aux grandes guerres de l’Empire, s’ils sont devenus rares chez nous, les géants de grande verve, hardis et matois, dignes compagnons de Bassompierre, rudes partisans de frontière, en qui je reconnais les gens de la « Marche » lorraine. Quelques survivants de notre nationalité brillent encore dans nos villages, et leur popularité, incompréhensible pour l’étranger, vivifie tout le canton. Où qu’ils s’exilent, d’ailleurs, ils ne passent pas indifférents. As-tu rencontré à Paris Monseigneur M… ? Quel vigneron lorrain, que ce vénérable prélat ! Et G…, de la Sorbonne, l’as-tu entendu bougonner, conter ? Les Parisiens croient que c’est le sel attique, mais c’est la verve de l’ancien Nancy, du Nancy autochtone, non mêlé d’Alsaciens, de protestants et de juifs. Et puis, il y a E. G., qui essaya de jouer l’anarchiste. Anarchiste, lui l’un des trois plus jeunes engagés de 1870 ! Un bon « gueulard ! » comme on dit à Vézelise. Il lui fallait la vie des camps, des coups à donner et à recevoir pendant une vingtaine d’années pour dépenser son atavisme de joyeux partisan. Ces trois hommes, si divers et tous proches de notre terroir, si nous causions librement, ah !