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LEURS FIGURES

l’éloquence goûtent sa façon de parler. Il est supérieur à Jules Favre, à Gambetta, à Jaurès, en ce que, les choses médiocres, il les dit à mi-voix. On lui sait gré de donner un relief à peu près suffisant à sa pensée dans une suite de phrases pas trop cotonneuses, et, bien que, par élégance sans doute, il abuse des périphrases, on ne le trouve pas ridicule, même à la lecture. Dans sa gravité pourtant, il y a de l’affectation ; naturellement, c’est plutôt un pince-sans-rire qu’un homme austère. Il débite des plaisanteries apprêtées et voulues sans se permettre de sourire, mais certaines louanges de la vertu dans une telle bouche trahissent mieux le cynique amer que ne ferait une franche moquerie. Au cours de sa plaidoirie pour Eiffel et à propos des traitements élevés qu’on touchait à Panama, il jeta incidemment cette bonne insolence :

— Voilà des appointements qu’envieraient nos fonctionnaires, s’ils recherchaient dans leurs fonctions autre chose que la satisfaction du devoir accompli.

Par cet imperturbable sérieux dont il vernit sa pensée sceptique, on voit bien qu’il se propose d’augmenter son autorité, mais, plus qu’en son talent, elle est dans son influence sur l’avancement des magistrats. Il demeurera le prince du barreau parisien tant que sa coterie régnera. Au reste, il s’assure si bien de la servilité générale,