La salle était trop chauffée. Si les prisonniers ne bâillèrent qu’une fois et M. Eiffel pas une, les curieux inclinaient à imiter l’un des assesseurs qui sommeillait. Çà et là pourtant, des phrases ravivaient la beauté de cette affaire, restituaient l’atmosphère du pays lointain, du fiévreux Panama. Me Chéramy, avoué de M. Eiffel et disciple de Stendhal et de Gobineau, put noter ces expressions caractéristiques, « la main-d’œuvre blanche… la main-d’œuvre noire », qui revenaient sans cesse dans la discussion des comptes. On revoyait toutes les races convoquées là-bas par ces quatre accusés, remuant les terres, souffrant, mourant. Ces prévenus eurent ce pouvoir ! En même temps qu’ils ruinaient les petites gens d’Europe, ils déplaçaient, d’Asie et d’Afrique en Amérique, des milliers et des milliers de pauvres êtres, affamés de gros salaires et voués aux fièvres mortelles. Un tel rôle frappe l’imagination, et, en vérité, ce M. Cottu, avec sa jolie allure de civilisé un peu insignifiant, n’est point le monstre qu’on croirait trouver derrière ce drame mondial.
M. Charles de Lesseps, archiviste et homme bien élevé, devint le personnage sympathique du procès. Son intelligence conquérait ces professionnels. Par instants, il guidait le débat. Et le président Périvier, enclin à glisser dans le ton familier, disant : « Monsieur Charles va nous expliquer cela », — « C’est maître Charles qu’il