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LEURS FIGURES

La musique peut-être saurait trouver une expression aux mouvements intérieurs et au nihilisme de Sturel dans cette minute, mais la parole ne peut pas traduire avec certitude un tel tumulte d’âme, ni conduire dans la cave glaciale d’où il voyait les dessous et la vérité de notre société : un camp du drap d’or, des tentes somptueuses dont les tapis dissimulent des alcôves, des latrines, des abattoirs et des cimetières.

Peut-être Sturel, qui de sa vie n’avait bu deux gorgées d’absinthe, avait-il eu tort de tremper ses lèvres dans son verre ? Après une demi-heure de cette stérile intelligence, il se ressaisit ; il quitta délibérément ce vaste monde, inhabitable, de la parfaite clairvoyance, où il venait de comprendre les nécessités de toutes choses : il redevint un individu conditionné par ses aïeux, par son milieu et par ses intérêts. Il reprit le niveau de la politique antiparlementaire et sa tâche normale de justicier.

— Les canailles ! s’écria-t-il. — … Peut-être aurai-je besoin de vous et de vos amis ; comment vous prévenir ?

— Mouchefrin saurait me trouver. Seulement, méfiez-vous : l’idée abstraite lui échappe. Faire de la casse, c’est-à-dire de l’expropriation, risquer les dunes, c’est-à-dire les travaux forcés, pour ceux qui souffrent, il appelle ça des bêtises. Ensuite dans des affaires qu’on lui a confiées, il a trompé