Page:Barrès – Leurs Figures.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
229
L’ENVERS DE L’HÉROÏSME

Un homme étrange s’approcha, prit quelques secondes Fanfournot à part. Aux gestes, à l’atmosphère, on pouvait admettre que de tels personnages étaient à Moulins en tournée de cambrioleurs.

… Un Sturel trouve dans cette abjecte société les jouissances d’une débauche intellectuelle. Dans cette minute, il se connaît comme une plante dont les racines s’enfoncent dans la nuit de la terre, tandis que les feuilles qu’elles nourrissent subissent tous les vents et prennent des positions éphémères sans importance. « Je puis bien avoir, pense-t-il, mes singularités individuelles, car nulle fleur ne se montre au monde qui soit identique aux autres fleurs, mais je plonge dans ce qui est commun à tous les hommes et qui apparaît seulement aux plus puissants regards. Je participe de l’animalité. Nous sommes nés originairement pour mordre, saisir, déchirer. »

Avec une morne lucidité, sous un grand coup de vent qui déchirait les brouillards de la plaine, Sturel mélangeait tous ces gens-là, « terreurs » du boulevard extérieur, ou « terreurs » du Parlement. Cambrioleurs et concussionnaires, ils ne lui présentaient plus les profils qu’un lecteur honnête leur voit en lisant la Gazette des Tribunaux : il comprenait nettement ce jeune bandit taré de Fanfournot et les brillants panamistes comme des équivalents sociaux, comme des appétits couverts de noms plus ou moins heureux.