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UN ROI QUI SE FORME

nêtes. Suret-Lefort qui savait, pour s’en être fait des succès dans les réunions publiques, que les concussionnaires abondent au Palais-Bourbon, fut tout de même interloqué d’apprendre petit à petit, et des membres de la majorité, que les fournitures de la Guerre, les Conventions avec les grandes Compagnies, la conversion des obligations tunisiennes, les rachats de Chemins de fer et la constitution du Réseau de l’État étaient des « affaires ». Il comprit que, depuis douze ans, pas une grande entreprise où les pouvoirs publics eussent à intervenir n’avait pu se dispenser de faire la part de la corruption. Ces manœuvres ne choquent que les conscrits, qui, d’ailleurs, y voient des circonstances atténuantes, dès qu’on leur permet de s’y associer. Les plus honnêtes gens ne vont point jusqu’à mêler leurs délicatesses privées à leurs combinaisons politiques. « Un tel, disent-ils, avec le rire de Nelles, oh ! c’est une fameuse canaille ! » Et de lui serrer tout de même la main, pour peu que ses opinions ne contrecarrent pas leur système constitutionnel. Au Palais-Bourbon, le vol, tant qu’il n’y a pas scandale, n’est qu’une faute contre le goût : quelque chose qui coupe l’estime sans délier les intérêts. Dans aucun parti on ne fait difficulté d’admettre un voleur, s’il a du gosier et de l’estomac, c’est-à-dire de l’aplomb et de la métaphore.

En écoutant M. de Nelles, Suret-Lefort devait