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LEURS FIGURES

de détourner la colère publique sur les parlementaires, m’avaient envoyé deux émissaires : l’un mon ami, l’autre un personnage politique considérable. Ils me dirent : « Obtenez une commission d’enquête et l’on vous documentera. Vous aurez les chèques Thierrée, la liste des 150, et les administrateurs viendront découvrir en quel point de leur comptabilité gît la preuve. » Je me fiai dans l’amitié de l’un et dans l’intérêt de l’autre à n’être pas démasqué par un homme tel que moi qui, en face d’un contrat synallagmatique violé, n’hésiterais pas. J’accusai ; j’allais avoir à m’expliquer devant la Commission d’enquête, je vins ici me recueillir. Chaque jour je télégraphiais par des moyens sûrs pour que mon ami me fît tenir les documents promis. Pas de réponse. C’est qu’après s’être transportés victorieusement au cœur du Parlement, les administrateurs attendaient avec angoisse, comme Napoléon à Moscou, des propositions de paix. Ils avaient voulu intimider le gouvernement pour qu’on leur épargnât le procès, mais ils craignaient d’aller plus outre, car, à fournir les preuves de la corruption, ils établissaient en même temps leur crime de corrupteurs. Et peut-être M. Charles de Lesseps en eût-il couru le risque, mais il connaissait l’atroce formule qu’on « mettrait les menottes à son vieux père ». Vous représentez-vous mon agitation dans cette solitude ? Quand je reçus l’in-