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LA PREMIÈRE CHARRETTE

Ce discours de violence inouïe, joué, crié, — sublime, il faut le dire, — car l’invective jamais n’y glissait à l’injure, détendit cette Chambre contractée, la tira de sa peur et d’une longue servitude. L’angoisse générale trouvait son soulagement. Sur le président, — malheureux vieillard qui, dans ce tumulte, entend mieux les battements de son cœur, dont il blêmit, que le tintement de sa sonnette — on passe comme la bande des chiens sur leur valet tombé à terre, quand ils ont mis en vue le gibier. C’est que tous soupçonnent ou connaissent le grand secret : les cinq ont été livrés par Cornelius Herz, ami de Clemenceau, et grâce à l’intrigue de Clemenceau. Aussi Déroulède irrite la plaie vive du Parlement et le force à se mettre debout quand il crie :

« Dans une journée pareille, où la faulx de la Justice a déjà atteint tant de têtes, il m’a semblé inique que celle-là fût respectée, et j’ai cru nécessaire et salutaire, sinon de l’atteindre, au moins de la marquer. »

Terribles excitations ! L’opportuniste décimé se rallie, et derrière le grand boulangiste se jette avec haine sur le grand radical.

Clemenceau, dans ce romantisme irrésistible, exagère d’autant son type desséché et précis. Les bras croisés, le regard insulteur, la figure verte, il cherche son souffle. Et soudain, d’un « Non » brutal, il coupe de sa place Déroulède qui réplique :