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LEURS FIGURES

prendre au « bureau de la distribution » divers documents, puis, sans causer avec personne, était rentré chez lui se mettre à ce travail de complaisance, qu’un ami interrompit le soir pour lui apprendre son éclatant déshonneur.

Si le tragique coupe les jarrets des faibles et congestionne les Hercules, il énerve, surexcite parfois délicieusement les natures nerveuses, et les amènerait par coquetterie à plaisanter le bourreau. M. Arène, dans la salle des Pas-Perdus où il est grand favori, lançait à ses amis les journalistes une charmante boutade :

— Pour une fois que je suis sur une liste ministérielle !

C’est avoir de l’estomac ! Mais une fois hors de ce théâtre ? M. Maurice Talmeyr, dix minutes plus tard, a vu M. Arène, au sortir de la Chambre, entrer dans un restaurant voisin de l’Opéra. Il était hagard, livide, dépeigné, les yeux hors de la tête et le chapeau en arrière. Personne ne fit semblant de le voir, pas plus que lui de voir personne. La figure à la fois verdâtre et tuméfiée, il lança de loin sur la banquette une grosse serviette bourrée de papiers, s’arracha son paletot comme un homme qui étouffe, avala un plat quelconque avec une précipitation qui ressemblait à de la gloutonnerie, paya, reprit serviette et paletot, et sortit comme un fou. »

Cette journée vaut par des sentiments simples,