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LEURS FIGURES

L’arrivée de Rouvier, durant ce débat, dans les couloirs déserts de députés, c’est ça qui était beau ! Des projets du gouvernement, Rouvier ignorait tout et probablement ne craignait rien. Avec son aplomb de sanguin fortement musclé, ses larges épaules, son regard de myope qui ne daigne s’arrêter sur personne, avec tout cet aspect singulier d’Arménien transporté des quais de Marseille à Paris, et toujours parlant haut, de cette admirable voix autoritaire qui, depuis quatre ans, brutalise, subventionne et soutient tout ce monde-là, il allait parmi les journalistes, de groupe en groupe, disant :

— Qui cite-t-on sur les chèques ?

Cependant les poursuites étaient accordées à une énorme majorité, en quinze minutes. Ce drame avait mis hors d’eux-mêmes amis et ennemis. Par cet instinct qui amasse la foule autour d’un cheval qui s’abat, ils ne songeaient plus qu’à voir la figure des cinq. Sortis, les yeux étincelants, de leurs bureaux dans les couloirs, ils s’y heurtèrent d’abord à ce Rouvier, mais combien transformé ! les mains dans les mains de deux ou trois fidèles qu’il tutoie. Sa figure bouleversée d’une façon inexprimable, je ne puis la comparer qu’à l’épouvante qui demeure sur la face des assassinés. Une telle angoisse fait mal à voir. Il ne bougeait pas, mais violemment congestionné, ses yeux, sa bouche tout agités, il