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LE CADAVRE BAFOUILLE

Mañara, débauché repenti dont le théâtre a fait don Juan. Les vers dévorent deux cadavres ; une banderole nous dit : Finis gloriæ mundi ; dans le fond, sur un charnier de crânes, la balance mystique pèse les mérites et les démérites. C’est une image d’une bonne philosophie chrétienne et dont Murillo disait : « Voilà une toile qu’on ne saurait regarder sans se boucher le nez. » Pareillement je dois détourner la tête en extrayant des journaux le trait canaille qui donne la pleine valeur philosophique des scènes de Nivilliers : « Le cadavre qui, à l’ouverture, ne donnait aucune odeur, commence à sentir, et, sous l’influence de l’air, il s’enfle, il rejette des gaz, c’est-à-dire, pour employer l’argot d’amphithéâtre, qu’il bafouille. »

Il bafouille ! On sait la force exaltante, le grossier romantisme qu’eut à toutes les époques le cadavre insulté d’un puissant. « Jouissons, cueillons le jour qui passe ! » La chair vermineuse de Reinach donne aux parlementaires l’enseignement que les buveurs de la vieille Égypte demandaient à une momie placée au centre de leurs festins. « Gorgeons-nous en hâte du pouvoir et, quand l’opportunisme craquera, comme notre ami, nous défierons avec quelques gouttes d’aconitine le juge et le commissaire. » Ainsi philosophent pour s’étourdir les puissants attablés ; mais d’autres, le ventre creux, se disent : « Ce Rei-