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L’ACCUSATEUR

Et, des galeries publiques, tous les visages penchés sur cette cuve disaient : « Nous aussi. »

Le discours que Delahaye avait écrit, avec ses amples développements, offrait trop de prise au vent dans cette tempête. Brusquement il se resserra, put d’autant mieux filer vers son but.

— Pour émettre des valeurs à lots, il fallait une loi ! Un homme intervint qui n’est plus de ce monde depuis hier… Il se fit fort d’obtenir la loi par la toute-puissance de ses relations politiques et par la corruption. Il demanda cinq millions qui lui parurent d’abord suffisants pour acheter les consciences à vendre du Parlement.

— Les noms ! Les noms !

— L’enquête vous les donnera… Ce mort récent connaissait jusqu’au chiffre des dettes des députés. Il tarifa chacun selon son importance politique. Il remit à son homme de confiance, un nommé Arton, qui depuis a passé la frontière, un carnet de chèques pour qu’il « fît le nécessaire ». Telle fut l’expression convenue.

— Les noms ! Les noms !

— Votez l’enquête…

À cette foule hurlante, il jetait, comme des os, des faits secs, mais pleins d’une forte moelle :

— Trois millions furent distribués entre cent cinquante membres du Parlement, parmi lesquels, je dois le dire, il n’y avait qu’un petit nombre de sénateurs.