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L’ACCUSATEUR

Les élus se pressèrent à leurs bancs. Quelques-uns avaient bu pour mieux soutenir le choc.

Cette inoubliable séance, la « Journée de l’Accusateur », se passa en pleine lumière ; elle fait contraste avec l’obscure « Journée du baron de Reinach », qui fut la mort de Polonius : un rat qu’on tue derrière le rideau.

Les hommes de service, pour mieux voir leurs maîtres dans la honte, augmentèrent la puissance du plafond lumineux quand Jules Delahaye gravit la tribune. Il était blême, avec ses lèvres retroussées qui laissaient voir par éclairs le luisant des dents comme des crocs. De la façon dont il débuta : « J’apporte ici mon honneur ou le vôtre », chacun comprit, comme sur le terrain, quand le directeur du combat dit : « Allez », que c’était l’instant de lutter sans ménagement ni distraction.

Sur les bancs étroits et serrés, les parlementaires avertissaient déjà de la bagarre tragique où nous vîmes les uns, de figures verdâtres, anéantis ; d’autres prêts à bondir, si leurs noms éclataient ; d’autres encore empoisonnés soudain d’une bile dangereuse ; quelques-uns, éperdus de vengeance contentée.

Cette infernale chaudière fit la force de Jules Delahaye. Il devait s’évanouir ou se griser de ces vapeurs. Ce désarroi de l’assemblée lui révéla que sa mission passait en grandeur ses plus hautes espérances. Il crut libérer de cette tourbe son pays.