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L’ACCUSATEUR

des haines communes, plus puissantes encore, aux parias qui siégeaient sur « quelques bancs à l’extrémité gauche de la salle ». Portés dans cette Chambre par la tempête de 1889, ces boulangistes, battus de tous les outrages, entretenaient à peine dans la masse de leurs collègues quelques relations de courtoisie. Nulle solidarité, aucunes affinités. En 1890, sur un discours romantique de ce pauvre Madier de Mont jau, en dépit d’une défense admirable de dialectique et de sobriété, Delahaye fut invalidé. « Je l’invalide, parce que boulangiste », s’écriait ce tribun de mélodrame. « Bien rugi, vieux lion ! » pensèrent les amateurs, mais ils dirent de Delahaye : « Voilà un homme qui serait heureux de se venger. » Cette position boulangiste explique que Delahaye accepta la tâche d’accusateur. Certes, de vie simple, de milieu provincial, avec de fortes convictions, il était naturellement capable de s’échauffer contre le système. Mais il n’y a point d’honnêteté, ni de courage qui tiennent : un député d’une autre formation que la boulangiste n’aurait pas eu l’indépendance de décimer le Parlement.

Ce soir de novembre, dans son modeste appartement, Delahaye comprit qu’il le tenait, le bon plat de vengeance qui se mange froid. Il se mit sur l’instant au travail ; il récrivit d’un bout à l’autre son discours et se décida pour l’affirmation absolue des faits qu’on venait de lui exposer sans