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L’APPEL AU SOLDAT

d’arracher à ses actionnaires l’autorisation d’émettre un sixième emprunt.

Cette difficile situation n’ébranle pas Bouteiller. Ni ingénieur ni géographe, cet universitaire ne se charge pas de décider s’il est possible d’établir une route maritime entre le Pacifique et l’Atlantique : il sait qu’un congrès de savants compétents s’est prononcé pour l’affirmative. Il n’est point au col de la Culebra pour constater la difficulté de creuser une tranchée de 70 kilomètres de longueur, avec 22 mètres de largeur dans le fond et 40 mètres à la surface, dans des terres argileuses qui glissent et d’où se lèvent des fièvres mortelles : il sait que les plus puissants entrepreneurs ont accepté cette tâche, et qu’après une période d’écoles (de 1881 à 1884), on est arrivé à acclimater des travailleurs et à créer un outillage. Enfin il n’est pas un homme de Bourse, initié aux intrigues de la Banque ; il ignore par quelles manœuvres les Lesseps parviennent jusqu’aux souscripteurs, quelles exigences montrent les établissements de crédit et le troupeau des maîtres-chanteurs : c’est l’affaire des administrateurs de se soumettre aux conditions, aux méthodes et aux moyens de tout appel à l’argent. Les sympathies qui entourent le baron de Reinach confirment Bouteiller dans son idée, préconçue par gambettisme, que ce personnage est un excellent instrument, et, si le jeune député de Nancy a parfois lieu de soupçonner des gaspillages ou des intrigues fâcheuses, il n’a pas les livres de la Compagnie à sa disposition pour vérifier ses soupçons. Enfin il connaît l’historique de Suez. À chaque fois qu’un incident se produit qui l’inquiète, il l’annule dans son