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AUTOUR DE LA GARE DE LYON

cha vainement Renaudin et Suret-Lefort. Où s’étaient-ils évaporés ? Il resta quelques instants à jouir de l’émotion que lui commandaient ces torrents humains. Bientôt il en eut des images assez fortes pour susciter toutes les forces de son tempérament. Ébloui qu’un homme eût déchaîné une telle unanimité, le naïf se convainquit de la toute-puissance de cette popularité, et, pour partager ses effusions plutôt que leur dîner, il se fit conduire au restaurant de ses amis. Dans cette minute, il abhorrait la notion du « gentleman » qui croit à des distances de classe. Il était enchanté de la haute idée que son cocher se faisait du Général et que cet homme lui exprimait en termes grossiers pour Jules Ferry. Depuis deux années de voyage et de province, il avait peu vu de Français du peuple. S’il n’avait craint Rœmerspacher, qui malheureusement avait du sens commun, et Saint-Philin, qui a certains jours était capable de se froisser. Sturel aurait retenu ce citoyen à dîner. Quel contentement de retrouver à Paris les plus humbles de ses compatriotes animés de ce goût pour les héros qu’il avait promené en Italie ! Il pensait : « Je voudrais me dévouer an Général et l’aider, lui et ses nobles lieutenants. »

Tout cela, c’est d’un enthousiaste qui a trois mille francs de rente. Mais, avec les sentiments mêlés d’un chien qui court à son maître, d’un vieux soldat quand le drapeau chancelle et d'un pauvre qui voit une pièce d’or, à l’instant où le Général apparut hors de si voiture et, soutenu par des agents, commença de marcher, Renaudin s’était élancé.

Si maigre, famélique, ardent, brutal, et ne s’arrêtant jamais pour pousser des « Vive Boulanger ! » il