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AUTOUR DE LA GARE DE LYON

taient qu’ils crurent à une charge de police. Une bande d’hommes, à coups de pied, à coups de poing, se frayaient un passage et criaient : « Partira pas… À L’Elysée… À bas Grévy ! »

— Des agents provocateurs ! dit Renaudin à Sturel, qui les allait admirer.

Un petit homme les guidait, vêtu d’un chapeau déformé et d’habits bourgeois, ignoble de misère. Tous trois reconnurent Mouchefrin, le complice de l’assassin Racadot. Protégé par ses poings fermés et ses bras en bouclier, il marchait à grands pas autant que le permettait cette muraille humaine que fendaient ses brutaux compagnons. Ses joues étaient creuses, tout son visage affreusement vieilli, sa bouche grande ouverte.

Suret-Lefort le toucha de sa canne à l’épaule, tandis que Sturel se détournait avec horreur. Mouchefrin se hissa sur le marchepied.

— Combien vous paie-t-on pour faire ce jeu-là ? — lui dirent en même temps Renaudin et Suret-Lefort.

— Qu’est-ce que cela vous fait ? — répondit-il en termes plus vifs, auxquels il joignit une interjection ordurière.

Il jura de nouveau, lança une salive dans le dos d’un enthousiaste, et se tapant sur la cuisse pour attester sa sincérité (avec une plus haute idée de soi-même, il aurait mis sa main sur son sein gauche) :

— Si Boulanger avait du cœur, on balayerait l’papa Grévy.

Il sentait le vin. Il retomba dans la foule et se remit à crier en s’éloignant. Ses gens, incessamment accrus, bousculaient tout. Déjà ils ouvraient les portières du coupé. Des agents s’élancèrent, délivrèrent