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L’APPEL AU SOLDAT

Lucas : je vais y dîner avec Saint-Phlin, dit Rœmerspacher.

Sturel, Renaudin, Suret-Lefort, debout, font une conversation fraternelle et cahotée avec leur cocher, qui, dans son enthousiasme boulangiste, abrutit de coups son cheval. Les cris continus qu’ils traversent les excitent à ne pas se laisser distancer par le coupé dont le dos miroite à vingt pas devant eux, comme un gibier précieux qu’ils chassent. Sturel voudrait revoir la figure du Général et, le plus près possible, l’acclamer. C’est aussi le désir du cocher et de ce long peuple au galop. Ils ont suivi la rue de Rivoli et la rue Saint-Denis. À l’avenue Victoria, les premières centaines de coureurs, essoufflés, s’essaiment. D’autres enthousiastes surgissent de toutes parts. Les quais de l’Hôtel-de-Ville et des Célestins, les boulevards Morland et Diderot, grouillent de gestes, retentissent d’acclamations sans une note hostile. Les quatre voitures, comme un train soulève et entraine des menus objets dans un courant d’air, détachent de ces berges humaines tous les impulsifs qui, par leurs frénétiques efforts de jarret, de poitrine et de larynx, dont ils suent, ajoutent encore à la fièvre générale qui les propulse. Deux cents mètres avant la gare, il fallut aller au pas. La volonté de cette manifestation se dégagea : le peuple s’opposait au départ. On commença de dételer ses chevaux. De leur voiture immobilisée, les jeunes gens, découverts, la bouche pleine de cris, suivaient tous ces mouvements, quand soudain, loin derrière eux, ils virent une violente poussée les gagner, les dépasser et prolonger ses remous jusqu’au coupé de Boulanger. En même temps, de tels cris écla-