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L’APPEL AU SOLDAT

nation luttant contre tous les obstacles, pour mieux réaliser son type.

— Je voudrais bien le connaître, disait Sturel.

— Renaudin t’en fournira des anecdotes. Moi, je te donne le fil, et si tu le tiens solidement, tu comprendras Boulanger mieux que s’il s’expliquait lui-même. Ce qui caractérise et actionne les héros populaires, c’est, bien plus que leur volonté propre, l’image que se fait d’eux le peuple.

Rœmerspacher avait raison. Les traits naturels de Boulanger ne comptaient plus ; par la force du désir des masses, il venait de subir une transformation. Aussi, en dépit de sa gentillesse personnelle, mécontentait-il ses inventeurs, les chefs radicaux, par l’image, hors cadre et supérieure au radicalisme, que se composait de lui le public. Il ne pouvait plus disposer pour aucune formule exclusive de la confiance générale qu’il inspirait, et bien qu’il ne proposât expressément rien qui prêtât à la critique, tous les politiques comprenaient que son emploi était de reconstituer l’unité de sentiment.

L’unité de sentiment, en France, c’est un danger pour l’Allemagne ; c’est aussi la négation du parlementarisme. Ces deux puissances, en joignant tous leurs moyens, amalgamèrent la majorité plus que bizarre, suspecte, qui le 17 mai jeta par terre le cabinet Goblet pour atteindre le général populaire ; les Clemenceau, Maret, Pelletan, Barodet, votèrent, contre leur parti, avec les Ferry, Raynal, Spuller, Méline, que l’on rencontrait dans l’opposition pour la première fois depuis dix-sept ans.

Le formidable mouvement qui secoue alors la nation, ses attroupements, sa rumeur, prouvent