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L’APPEL AU SOLDAT

saintes fureurs de la Marseillaise de Rude. Dans les petites villes, on vit les ennemis traverser la rue, marcher l’un à l’autre et, supprimant le « monsieur », parler avec gravité de l’intérêt national supérieur à toutes les querelles. Les enfants, la jeunesse, les mères, les vieillards, savaient la nouvelle, admettaient la solution. Dans les villages on annonça que des affiches proclamant la guerre se posaient sur les murs de Nancy. Mille vœux se levèrent pour les hussards de Pont-à-Mousson, qu’en deux heures, de Metz, les Prussiens peuvent enlever. Les populations attendaient, appuyées sur les barrières de bois dans les gares. Les délégués de la campagne sillonnaient les routes, marchant aux nouvelles vers les chefs-lieux de canton et interrogeant les patriotes. Toutes les phrases se terminaient par un geste plus fier de la tête relevée : « À la grâce de Dieu, s’il le faut ! » Et déjà l’on se sentait des frères d’armes prêts à partager pour le même amour, dans les mêmes hasards, les mêmes périls.

Les hommes valides commandèrent en hâte des souliers de marche, amples et solides. Les commerçants engagés dans de mauvaises affaires respiraient plus largement. La race mal vue des tapageurs devenait noble ; on admirait leur joie aventureuse. Des cris sinistres de mort mettaient une immense poésie, au soir tombant, sur les petites villes, et déchiraient le cœur des femmes, qui se juraient pourtant d’être dignes des héros.

Avertis par leurs familles, Sturel et Rœmerspacher accoururent d’Allemagne et d’Italie. Ces deux jeunes gens, qui d’habitude ne fréquentaient pas leurs concitoyens, se rendirent le soir de leur arrivée au princi-