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vers son soldat. Les diffamations acharnées des journaux depuis longtemps agissaient sur son boulangisme de la première heure. Dans le train, il se tint à l’écart. Les vaincus, comme à l’ordinaire, se déchiraient avec une violence que proclamaient leurs regards et leurs propos. Ces haines dégoûtaient ce théoricien. Dans une catastrophe, seul le silence ne choque point, et c’est de quoi sont incapables cinq cents hommes, à la fois gens de lutte et de discours, cabotins aussi et naïvement jouisseurs, qui tourneraient volontiers ce triste voyage en partie de plaisir, bien qu’ils aient les mains pleines de leurs couronnes et l’esprit chargé de soucis. À chaque station, depuis sa portière, il cherchait des yeux Fanfournot. Des timides, convoqués par le seul amour et qui ne connaissaient personne que de nom, se distinguaient, s’abordaient, échangeaient les marques d’une fraternelle sympathie. Fanfournot peu à peu se faisait avec ses deux compagnons l’âme de cette plèbe boulangiste, et après la douane ils se groupèrent dans un wagon d’où Fanfournot interpellait les boulangistes officiels :

— Sans les endormeurs comme vous, criait-il, nous n’en serions pas là.

Pour éviter le scandale, les membres du Comité cédèrent la place à ces « anarchistes ».

À la gare de Bruxelles, le déballage immense des couronnes créa un désordre. Enfin Saint-Phlin, vers les deux heures, put se mêler à tout un peuple grouillant qui escaladait les aspérités de la rue du Treurenberg et de la rue de la Montagne-de-la-Cour. À pied, en voiture, en omnibus, en vélocipède, comme vers une kermesse, une centaine de mille hommes