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L’APPEL AU SOLDAT

voudrais pas une acceptation de Suret-Lefort. Je n’ai donc que toi vers qui tourner mes yeux pleins de larmes et d’indignation. En l’embrassant, et pour te préciser mon état d’esprit, je te signale le texte que nous méditerons ensemble derrière ce cadavre, insulté, c’est l’Antigone de Sophocle, et nous affirmerons avec l’héroïne qu’on ne peut jamais rougir d’honorer un frère.

« Ton ami, d’une amitié qu’ont faite nos pères,

« François Sturel. »

Le samedi 3 octobre, jour fixé pour la cérémonie, Saint-Phlin, dès sept heures, descendait de voiture ; dans la cour de la gare du Nord, à Paris. Il fut abordé par le jeune Fanfournot qui guettait les traîtres. Depuis le jeudi, les quais et les trains regorgeaient de boulangistes. L’idée suprême, le testament du parti, c’était d’empêcher que Laguerre et Naquet ne suivissent l’enterrement du chef dont ils avaient, après les élections municipales, déserté la politique. Fanfournot jurait que, si Renaudin osait paraître, il tuerait de sa propre main ce Judas. Saint-Phlin, qu’émouvait la persistance du boulangisme, plus que la mort de Boulanger, remit cent francs à ce patriote en guenilles pour qu’il put assister aux obsèques.

— J’emmènerai deux compagnons, — dit l’étrange personnage, qui rejoignit, en courant comme un rat, un groupe de ses pareils.

La lettre de Sturel avait décidé Saint-Phlin par l’intensité des sentiments qu’elle exprimait plutôt que par leur objet. Il se rendait à l’appel d’un ami en détresse, mais il n’entendait plus l’appel de la nation