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L’ÉPUISEMENT NERVEUX CHEZ LE GÉNÉRAL

Voilà donc la voie bien imprévue que la destinée ménageait à Georges-Ernest Boulanger, général français, ancien ministre de la Guerre, ancien député de la Dordogne, du Nord, de la Charente-Inférieure, de la Somme et de la Seine, pour que, la gloire et le pouvoir se fermant devant lui, il parvînt quand même aux imaginations de la postérité.

Vers onze heures, il arrive sur la tombe et dépose d’abord un bouquet de roses.

Du cimetière d’Ixelles, dans cette plaine aux terrains vagues, on ne voit rien que le long ciel gris de Belgique. Barnave sur l’échafaud regarda les nuages et dit : « Voici donc ma récompense ! » De quelle conception oratoire se brouillait-il l’esprit ? Passe aux vivants de se payer de mots. Ceux qui vont mourir devraient bien comprendre qu’il n’y a dans l’ordre des faits ni justice ni injustice, mais seulement les incompréhensibles vicissitudes de la vie. Frédéric le Grand écrit : « Ce qui contribua le plus à ma conquête de la Silésie, c’était… c’était…, et enfin un certain bonheur qui accompagne souvent la jeunesse et se refuse à l’âge avancé. Si cette grande entreprise avait manqué, le roi aurait passé pour un prince inconsidéré, qui avait entrepris au delà de ses forces : le succès le fit regarder comme habile autant qu’heureux. Réellement, ce n’est que la fortune qui décide de la réputation ; celui qu’elle favorise est applaudi ; celui qu’elle dédaigne est blâmé. »

Un ouvrier employé aux travaux du cimetière se distrayait à observer les allées et venues du Général devant la tombe. Ainsi empêché, celui-ci dut craindre que, d’un instant à l’autre, son secrétaire, M. Dutens ou Mlle  Griffith, étant entrés dans son cabinet,