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L’ÉPUISEMENT NERVEUX CHEZ LE GÉNÉRAL

Même il plaisante et c’est bien toujours le même personnage, légèrement épaissi, avec quelques fils d’argent. Mais un autre visiteur, et moins tendu dans son désir que Sturel, sentirait sous d’anciens mots, sous d’anciennes attitudes, la mollesse du corps et de la volonté. Quelle sinistre maigreur prend désormais cette biographie tout à l’heure si ample ! La politique de compartiments se rétrécit aujourd’hui à d’humbles intérêts : Boulanger se compose une figure d’énergie pour Sturel, de sérénité pour sa mère, de confiance au chevet de sa maîtresse.

Chez celle-ci, même hypocrisie par tendresse. Balzac, voulant marquer le sublime du pathétique, écrit : « On eût dit une mère mourante obligée de laisser ses enfants dans un abîme de misère, sans pouvoir leur léguer aucune protection humaine. » Cette douleur extrême et sur soi et sur lui, elle n’a même pas l’apaisement de la laisser déborder. Elle crache ses poumons et ravale ses pensées. Le héros d’un drame, quand tout son sang s’échappe, est porté par ce que l’action dégage d’ivresse. Le général Boulanger arrive au dénouement à demi anesthésié par le tourbillon qui le bat. Mais les malheureuses femmes ! La mère de Boulanger sous tant d’émois perd la raison. Mme  de Bonnemains, petite mondaine avec toutes les frivolités, avait souffert au milieu des succès de ne pas obtenir l’annulation de son mariage et le divorce du Général ; à l’heure des revers, on la traîna publiquement dans l’ordure ; en juillet 1891, elle meurt.

Sturel vint pour l’enterrement. Et sur le pas du petit hôtel, rue Montoyer, en attendant la sortie du