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« LAISSEZ BÊLER LE MOUTON »

place. D’ailleurs, nous sommes plus près du succès qu’on ne le croit.

Celle parole de réconfort marquait assez qu’il méconnaissait les motifs de son plus désintéressé partisan. Mais un chef doit-il entrer dans les intérêts particuliers ?

Boulanger s’occupait, lui aussi, à sculpter sa propre statue ; il la voulait parfaite : toutes les fautes et l’insuccès, il les rejetait sur ses lieutenants :

— Par leurs imprudences, leurs vaines provocations, et en ouvrant trop tôt l’action électorale, ils m’ont fait sortir de l’armée. Ma plus grande erreur politique fut de voter contre l’urgence de la révision ; elle m’a été imposée par les républicains du Comité pour plaire à M. de Cassagnac et pour aider la droite à renverser Floquet, que remplaça Constans. Il y a quelques jours, affolés, apeurés, ils me sommaient ici même que je me livrasse pieds et poings liés à mes pires adversaires. Que cherchaient-ils ? L’un d’eux me promit de me défendre ! L’avocat ! il comptait bien se faire un triomphe. Quand il ne leur restera que mon cadavre à exploiter, ils le prendront.

Pendant deux heures, ils arpentèrent la plage. La mer montait avec un bruit monotone. Le Général plaidait sans s’interrompre, sinon pour affirmer sa foi dans son étoile.

— J’ai vu en trois ans des choses extraordinaire ! Les événements m’ont porté et rejeté ; ils viendront me reprendre ici. Oui, je vous le jure, le flot remontera !

À midi, ils reprirent le chemin caillouteux vers la villa, et Boulanger, chassant les pierres avec le bout ferré de sa canne, disait :