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L’APPEL AU SOLDAT

Et avec sa belle mémoire dont il tirait vanité :

— Pourquoi votre ami Saint-Phlin ne m’écrit-il plus ?… Quand vous êtes arrivé, j’allais faire les cent pas sur la plage ; nous y serons bien pour causer.

Sous la véranda, un instant, sans doute pour prévenir Mme  de Bonnemains, il abandonna Sturel. Une forêt de roses grimpaient aux piliers, aux balustrades. Dans leur parfum, dans ce silence, en face de ce jardin soigné qui glissait jusqu’à la mer, le jeune homme se rappela l’Hôtel du Louvre, la rue Dumont-d’Urville, Londres et même la Pomme d’Or, qu’emplissaient des images plus vulgaires, mais où l’on sentait l’excitation d’un peuple. Cette retraite le gênait, comme une alcôve d’amoureux et plutôt comme une chambre de mort où nous entête l’entassement des gerbes et des couronnes.

À cinquante mètres de la villa, ils se promenèrent sur un long sable désert que séchaient le soleil et la brise. Sturel rappela dans quelle condition, à Londres, il avait par discipline accepté une candidature. Il était entré au Parlement pour seconder et ratifier l’acte qu’on attendait du Général. Cet espoir évanoui, pourquoi demeurerait-il un jour de plus dans un poste où il dégradait son intelligence et son caractère ?

Ces idées déconcertaient Boulanger qui, dans sa longue activité, avait tranché bien des affaires et pesé bien des hommes, mais qui ne connaissait guère cette complication d’un rêveur poursuivant à travers des drames publics son propre perfectionnement.

— Il faut rester où vos électeurs vous ont placé, et prendre en mains leurs intérêts. Jeune, intelligent, travailleur, vous vous ferez rapidement une grande