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LE BOULANGISME ET STUREL SE RESSERRENT

Elle se mit au lit, mourante. Les sanglots qui semblaient vouloir briser ses seins délicats valaient la goutte de sang qu’à Saint-James ils avaient vu perler au col d’une colombe assassinée.

Mais l’être qui pleure ainsi, c’est une Mme de Nelles nerveuse, une romanesque en l’air, créée par l’influence de Sturel. D’elle-même, c’était une lorraine pleine de bon sens. Pour la ramener à son véritable fonds et aux vérités d’une vie féminine normale, Rœmerspacher est puissant. La solidité, l’équilibre de ce jeune homme de la Seille rappellent à Thérèse, par-dessus les années parisiennes où Sturel, son mari et le ton à la mode la dévoyèrent, les temps heureux que petite fille confiante elle passa auprès de sa grand’mère en Lorraine. Alors elle était une enfant dans une atmosphère d’affections qu’aucune défaillance, aucune maladresse n’auraient pu décourager. Mais de Sturel toujours elle avait pensé que, si elle devenait laide ou vieille, il ne l’aimerait plus.

Rœmerspacher adoucissait l’univers. Par Sturel, tout était sec comme des lèvres de fiévreux et tragique, comme des plaintes sur un oreiller d’insomnie. Après les champs pierreux et les violents parfums du Midi, elle trouvait auprès de Rœmerspacher le vert tendre des pays du Nord et leurs lignes de peupliers rafraîchis du vent sur le bord des rivières. Enfin, tandis que Sturel se plaignait de toutes les circonstances, aurait voulu qu’elles se pliassent sur ses volontés, Rœmerspacher prétendait que le sort nous guide, et que Thérèse devait y céder. Ainsi parvenait-il souvent à la rasséréner.

La voiture qui attendait Sturel devant la porte de Mme de Nelles le conduisit à la gare Montparnasse