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L’APPEL AU SOLDAT

qu’elle se permit était d’accompagner Rœmerspacher dans l’antichambre, quand il se retirait, et, sans l’assistance du domestique, de l’aider à se couvrir en lui répétant : « Prenez garde au froid, mon ami. » Peu à peu, les injures de son amant distrait n’excitaient plus en elle qu’un douloureux sentiment de la solitude et, comme une plante s’oriente hors de l’obscurité, elle se tournait toute vers Rœmerspacher.

Et pourtant, mais qui s’en étonnerait ! son goût de pureté passionnée demeurait tel qu’elle cherchait des précautions contre son instinct. De tout son effort, elle revenait à Sturel ; elle gardait pour lui de la tendresse encore et elle eût voulu se soustraire aux mouvements violents de l’amoureuse qu’elle se reconnaissait.

Les jours où elle s’efforçait de se refuser un amour, tout de la vie lui paraissait indifférent, inutile, comme dans les instants où la notion de la mort nous domine. Il y a autant d’intensité de mélancolie à suivre la raison que de beau lyrisme à suivre l’amour. C’est toujours quelque chose de forcé, l’impression de se détruire. La simple idée d’une passion où l’on est résolu de ne se point prêter, introduit de l’impureté dans toutes les minutes de la vie. « Qu’il est étrange, se disait-elle, que mon goût si vif de la beauté ne me détourne pas de cette sorte de professeur, petit, mal habillé, et qui n’est pas du monde ! »

Tout cela eût été fort bref avec un homme moins délicat ou plus averti que Rœmerspacher. Il distinguait avec attendrissement chez la jeune femme ce que cachent tous les êtres et même les plus enviés, une souffrance. Convaincu, au delà de toute mesure, de sa gaucherie, il ne sut pas comprendre qu’il inté-