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LE BOULANGISME ET STUREL SE RESSERRENT

printemps de 1800. Il aimait les fins de journée un peu humides et si tristes de mai, ce mois hésitant, mal formé dans nos climats, où il soutirait auprès d’elle des préférences qu’évidemment elle réservait pour Rœmerspacher, souvent installé en tiers dans leurs causeries. Peut-être par quelques mots eût-il pu la ressaisir, mais c’était sa volonté douloureuse de se taire et de laisser leur amour se perdre sous le flot. Son imagination, habile à se composer des tourments, allait jusqu’à le faire souffrir également s’il se la représentait heureuse et reconnaissante dans les bras d’un autre, ou s’il la supposait délaissée et secouée des frissons d’une jeune femme ardente à la vie et solitaire.

Cependant elle le jugeait insensible et son cœur se gonflait dans sa jolie poitrine à regretter ce qu’ils eussent eu de tranquille félicité s’il avait consenti au tendre abandon que, de tout son corps et de toute son âme, à vingt-quatre ans, elle lui avait apporté. L’amitié de Rœmerspacher continuait à la soutenir. Il avait gardé tout l’hiver les habitudes prises à Saint-James durant la longue absence de Sturel. Il passait rue de Prony les dernières heures de chaque journée ; le sentiment ardent et triste de la jeune femme les faisait pareilles, dans cette pièce remplie de fleurs mourantes, à des soirées d’automne. Et si Sturel voyageait, Mme de Nelles condamnait sa porte, parce que tous leur semblaient des gêneurs. La nuit tombait sur leur conversation à voix basse, consacrée uniquement dans les débuts à étudier le caractère de François Sturel. Une amitié sincère, voilà toujours ce qu’elle croyait désirer pour se consoler de la faillite de son bel amour. La plus grande volupté