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LA FIÈVRE EST EN FRANCE

moi, j’ai pris avec plus de sérieux la juste défiance que les mêmes maîtres nous donnent de l’absolu. Chaque nation exhale un idéal particulier, non point un credo positif, mais un vaste sentiment qui se modifie avec elle et qui demeure, autant qu’elle subsiste, sa vérité.

« Au contact de cette grande Allemagne, j’ai senti ma propre patrie et entrevu notre vérité. Ses universités m’ont appris à ne pas me satisfaire d’une notion verbale, à ne pas dire « France ! Oh ! France » mais à voir sous ce mot une réalité, une série de faits historiques, des ressources accumulées et une direction imposée à nos mouvements en vue de certaines actions favorables à la vie des individus et à la survie de la collectivité. C’est peu de dire : « J’aime la France » ; après dix-huit mois, j’ai expérimenté que les qualités et les défauts français font l’atmosphère nécessaire à ma vie. J’ai le mal du pays. C’est dans le rang de mes compatriotes que je vivrai mes jours avec le plus d’agrément, comme c’est dans leur histoire et dans leur littérature, à condition qu’on ne les laisse pas se perdre dans les sables, que joue le mieux mon intelligence.

Nous sommes amoindris. Mais il n’y a pas à calculer les énergies de la France comme celles des autres pays. La grossière confiance de nos adversaires raille notre fièvre, notre excitabilité : elles sont le moyen des choses sublimes dans notre nation. Ces puissances méconnues ne prendront-elles pas bientôt leur revanche ?

« Ton ami,

Rœmerspacher. »