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« PARAÎTRE OU DISPARAÎTRE, MON GÉNÉRAL ! »

— Êtes-vous seulement une amoureuse, madame, ou, pour celui que vous aimez, une ambitieuse ?

Les larmes aux yeux, la pauvre femme, qui crut entrer dans une brillante aventure de coquette et qui distingue les signes d’une tragédie mortelle, répond :

— Je vous jure, monsieur Déroulède, que jamais je n’intervins dans ses décisions.

Et quand le cruel patriote la presse :

— Me faire-votre avocat auprès du Général ? Je vous en prie, n’insistez pas ! Je dois rester neutre.

Partout donc un mur où se brisent ceux qui se croient les délégués de la France ! Cependant, ils doivent accepter, refuser des tasses de thé, trouver dès propos suffisamment alertes, voiler leurs regards.

Peut-être Boulanger, dans cette douloureuse soirée, ne s’élève-t-il pas assez haut pour prendre ses collaborateurs dans leur ensemble et pour être juste. Plus richement doué pour l’action que pour la pensée, il ne les avait sans doute jamais compris par l’analyse, et, maintenant, il ne les aimait plus. Des lors, comment les eût-il isolés des impressions qu’il ressentait !

En réalité, Déroulède, c’est un homme de rayonnement, qui communique ses états d’esprit à tous les êtres qui l’approchent et le leur rend sympathique. Ce don fait de lui un despote qui ne tient aucun compte des caractères individuels et veut tout fondre dans l’action à laquelle il se dévoue. Si Boulanger ne peut lui fournir qu’une victime, qu’un cadavre, il exige sans apitoiement cette suprême contribution. — Naquet mena une admirable campagne de raisonnements, pendant deux années, au service d’un messianisme qui n’avait que faire de