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« PARAÎTRE OU DISPARAÎTRE, MON GÉNÉRAL ! »

dans l’armée et dans sa patrie, un retour de la sympathie publique le servirait bien peu au fond de sa prison. Ces apôtres lui parleront de son devoir ? il y a tout sacrifié : sa carrière, ses honneurs, son repos. Ils invoqueront leur dévouement ? toute leur éloquence ne le trompera pas sur l’aisance avec laquelle, vaincu, ils le jettent par-dessus bord.

Boulanger se méprend. Ses lieutenants demeurent pareils à eux-mêmes. Qu’il reconnaisse son Déroulède de juin 1888, qui, sûr d’être élu au second tour dans la Charente, s’inclinait sous la volonté du chef et renonçait à la lutte ; qu’il reconnaisse son Laguerre de mars 1889, qui acceptait contre ses scrupules propres d’attaquer en face Constans. « Nous sommes des soldats, disaient-ils alors, nous obéissons. » Aujourd’hui, ils se réunissent en conseil de guerre et demandent au chef de se mettre à leur tête pour un assaut désespéré. Jadis ils interprétèrent les désignations dont le suffrage universel favorisait ce général heureux comme le signe d’une mission providentielle ; maintenant ils réclament de lui des résolutions d’un caractère mystique. La part de hasard que comporte leur plan ne choque pas ces hommes nés avec le goût du risque ; dès l’instant où ils sortirent des rangs parlementaires au cri de « Vive Boulanger ! » ils ont admis que, s’ils se donnaient tout entiers au chef, lui, à son tour, pourrait être amené par les nécessités de son rôle à se sacrifier.

Voilà les sentiments de ces politiques qui, tant de fois, dans le succès, se crurent liés pour la vie, quand sur le quai de Jersey, le lundi 28 avril, très pâles, ils se donnent l’accolade.