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LA PREMIÈRE RÉNION DE JERSEY

ploi un boulangisme, jadis tout de fougue et de générosité, aujourd’hui rétréci en intrigue parlementaire.

Le matin du départ, le Général accompagna jusqu’au bateau ses amis, puis il alla se placer sur la pointe extrême de la jetée. Immobile dans cet isolement, il leur laissait une puissante image de héros exilé. Quand, au sortir de la rade, ils passèrent à ses pieds, leurs acclamations couvrirent le bruit des vents et de la mer.

Le roulis apaisa peu à peu ces mémorables émotions. Les côtes de France se dessinèrent ; elles rappelaient à chacun la fin des vacances. On va retrouver chez soi cinq ou six questions demeurées en suspens, beaucoup de lettres d’arrondissement. Et dans le train, pendant l’insomnie, toutes conversations suspendues, les petites gens reviennent à la grande préoccupation : « Comment maintenir une situation électorale en province avec l’intelligente hostilité de l’administration ? » Les chefs, mieux liés à l’intérêt général du parti, se demandent : « Et si les élections municipales trompaient nos légitimes espérances ? » Renaudin se répète : « Il faut que je sois validé », et il analyse ce qui, dans ces délibérations, qu’on a juré de tenir secrètes, pourra intéresser Constans. Sturel s’inquiète d’ordonner ses journées et d’accorder les heures de la Chambre avec les heures de Mme  de Nelles. Ils trouvent tous ce voyage trop long et d’heure en heure appliquent leurs visages aux vitres.

Au clair de lune, pour un politicien à demi ensommeillé, ce territoire français présente des images