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L’APPEL AU SOLDAT

Pendant quinze jours, il arriva dès une heure au Palais-Bourbon et il sortit le dernier ; il supporta que des individus missent plusieurs secondes à apercevoir sa main tendue ; il trouva naturel qu’à son approche des cercles se tussent et se dissipassent ; il n’entendit pas certains propos un peu vifs. Prenant tout avec sang-froid, tournant deux ou trois fois son cigare dans sa bouche avant de placer un mot, examinant toujours les choses de haut, comme un diplomate juge les querelles des nations, sans en blâmer ni ressentir les passions, il se fit enfin tolérer par quelques opportunistes. C’est avec un Bouteiller qu’il eût voulu renouer. Mais celui-ci, son ancien protecteur et qui l’avait introduit dans la presse, pouvait-il lui pardonner d’avoir, le premier, lancé des accusations de péculat qui s’accréditaient confusément ? Quand ses inquiétudes l’eussent engagé à acheter la paix par une poignée de main, sa dignité et surtout son instinct politique le lui déconseillaient. On se maintient dans son parti à condition de ne donner aucune prise de blâme ou de suspicion à des rivaux toujours jaloux et à des soldats toujours méfiants. Lui, le parlementarisme incarné, s’écarter quelques instants avec un boulangiste notoire ! Sa pureté en eût été ternie. D’une certaine manière, les attaques bruyantes d’un Renaudin font le titre républicain d’un Bouteiller. Le journaliste s’ouvrit à Suret-Lefort, à qui ces négociations donnaient de l’importance, et par son entremise il obtint une audience de Constans.

— Monsieur Renaudin, dit en substance le ministre, le parti républicain ne sera inexorable que pour des transfuges qui cherchèrent à lui porter les