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L’APPEL AU SOLDAT

Le Général était mobile, ou bien, avec toutes les apparences d’un homme qui se livre et n’a rien à cacher, savait se surmonter. Le mercredi, au déjeuner où il rassembla Laguerre, Naquet, Sturel et Renaudin arrivé dans la nuit, on put presque plaisanter de la déception momentanée. C’était parfois dans ses goûts de philosopher en fumant un cigare ; dans l’angle de la fenêtre de Portland Place, tout en tournant sa cuiller dans sa tasse de café, il dit à Laguerre :

— Je me rappelle notre conversation du 2 janvier dans mon cabinet ; les événements vous donnent effroyablement raison. Je pensais qu’on ne doit pas sortir de la légalité, mais eux, elle ne les a pas arrêtés. Eh bien ! supposez que, selon votre conseil, j’eusse fait envahir la Chambre le lendemain : j’avais huit chances sur dix de réussir. En cas d’échec, tout le monde aurait dit : « Sont-ils absurdes d’avoir perdu par trop de hâte une partie assurée ! »

Boulanger, que l’attente de tous ces fidèles invitait, fit alors connaître le plus étrange des projets : avec un sentiment très sûr des effets de théâtre et de sa mise en valeur, il rêvait de rompre ce terrible silence où l’univers le voyait et de dire sans préparation : « J’aspirais à servir mon pays ; je refuse de le troubler. Il convient aux Français de prolonger une situation que je juge antinationale ; plaise au destin qu’elles soient douces, les circonstances qui attesteront bientôt la justesse de mes prévisions ! » Et là-dessus, quitter l’Europe, passer en Amérique, où quelque imprésario lui offrait un million pour une série de conférences.

Cette résolution, qui rappelle sa première ma-