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BOULANGER DEVANT SON DÉSASTRE

que l’autre, pendant vingt-quatre heures lui furent une suite d’assommades en plein front. Pas une minute il n’avait admis l’insuccès ! Vingt-deux élus, après un tel effort de millions et de dévouements, et quand il a sacrifié tous les fruits de sa vie ! Le peuple passe au camp des adversaires féroces dont la joie crucifie ce vaincu. Un chef militaire, du moins, se distrait violemment dans un effort pour pallier le désastre et couvrir la retraite. Depuis qu’à six heures du soir, le dimanche 22, sur toute la France, le scrutin a été clos, Boulanger ne peut plus que récriminer.

Sturel, lisant cette douleur et cette impuissance sur le visage du Général, regretta de n’avoir rien préparé pour nourrir celle pénible entrevue. Il parla de fidélité et assura, fort à la légère, qu’aucun partisan ne se détacherait. Le Général le félicita de sa réussite et prétendit, avec une grande amertume contre Dillon, qu’un meilleur choix des candidats eût détourné le désastre. Sturel gardait les yeux fichés à terre, pendant que le chef se rangeait ainsi à des vues sur lesquelles, deux mois auparavant, il le traitait d’oiseau de malheur. Le jeune homme dénonça les escamotages de M. Constans : de nombreux députés gouvernementaux n’obtenaient que deux ou cinq voix de majorité. Il passa ainsi une demi-heure dans l’état du monde le plus pénible, incertain de demeurer ou de s’en aller. Enfin il dit son embarras et que le Général sans doute voudrait quelques jours de recueillement, mais qu’il ne quitterait pas Londres sans lui en demander l’autorisation. Boulanger l’invita à déjeuner pour le lendemain mercredi, puis, après un petit silence, lui tendit la main et l’accompagna jusqu’au couloir.