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LA JOURNÉE DÉCISIVE

se trouva un peu étourdie, assez pour être plus touchante. Rosine, appelée par Rœmerspacher, la soigna sans le renvoyer.

Une femme n’est jamais plus jolie que si une autre femme s’empresse à la servir et, confidente des sentiments qui la troublent, se mêle à sa toute intimité en lui chuchotant des flatteries sur sa beauté physique et sur ses puissances de plaire. Cette complaisante Rosine faisait une telle atmosphère que Thérèse de Nelles, un peu intimidée, disait à Rœmerspacher :

— Mais qu’est-ce qu’elle croit ?

Au soir, on dîna sur la terrasse, devant la maison. Peu à peu la nuit mit sa gravité sur l’immense paysage jusqu’alors retentissant de canotiers. Rosine parlait avec tranquillité, très simple, un peu cliente. Rœmerspacher, tout en goûtant cette molle société, n’écoutait que le paysage. Sa gentille amie, dans cet instant, le plus voluptueux qu’il eût jamais vécu, prenait de la demi-nuit un caractère encore plus confiant et sans défense ; il jugeait sévèrement les négligences de Sturel et en même temps il s’en réjouissait ; il pensait que l’immortalité dans le paradis chrétien ne vaut pas le bonheur de deux êtres emportés vers la mort et brûlant ensemble leurs belles années.

Dans le lointain, une gare avec ses mille lumières soudain brilla comme un écrin. Et les montrant à Thérèse :

— Ce beau, ciel, cette paix, tout ce bonheur du soir, disait-il, c’est vous qui les placez comme une fée autour de nous, mais il fallait aussi ces diamants mêlés à des choses qui sont votre parure.