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L’APPEL AU SOLDAT

les rues, sur les places, sur les routes la distribution des bulletins de vote, comprendront-ils ce caractère des élections du 22, supérieur à toutes les polémiques éphémères et qui intéresse la France Éternelle ?

Boulanger a demandé le succès à tous les moyens, jusqu’à vouloir, ces jours derniers, s’entretenir avec le comte de Paris. Le dimanche matin, il implore un suprême auxiliaire. Lui qui, deux ans plus tard et la veille de sa mort, écrira : « Près de rentrer dans le néant… » il cherche dans le quartier de Portland Place une église où entendre la messe. Avec quel redoublement d’affection Mme de Bonnemains se tient agenouillée à ses côtés. Parisienne frivole à qui de sinistres pressentiments font battre le cœur et pâlir le visage ! Et dans chaque circonscription de France, des partisans et des adversaires, également blêmes et contractés par l’attente de ce qui va éclore d’un secret si prolongé, donneraient deux années de leur vie pour deux voix de majorité.

Les sentiments individuels s’enchevêtrent dans les crises sociales, s’y associant parfois, ou bien encore les ignorant. Mme de Nelles avait une grande amie, qu’elle tutoyait, Rosine, la fille de sa nourrice. Elle tenait à Paris un magasin de lingerie. Ayant tiré une clientèle et mille faveurs de sa petite sœur Thérèse, Rosine lui était sincèrement attachée par un sentiment complexe et tressé, comme une bonne corde, d’habitude, d’intérêt et de tendresse. Il s’y mêlait un goût sensuel. Cette blonde Rosine, fraîche, potelée, pleine de fossettes, rieuse, avec ses trente-trois ans, n’avait pas de plus vif plaisir que d’habiller, de déshabiller Thérèse pour lui essayer des